Le licenciement de l'ouvrier
Principes de base et rupture abusive
Le présent article n’a pas vocation à constituer une note exhaustive de l’ensemble des règles qui gouvernent la matière. Elle vise simplement à rappeler les principes de bases et à exposer certains critères dégagés par les Cours et Tribunaux dans le cas plus précis de l’absentéisme de l’ouvrier engagé dans une petite ou moyenne entreprise.
I. LE LICENCIEMENT DE L'OUVRIER
A. Principes de base
Le droit pour l’employeur et le travailleur de mettre unilatéralement fin au contrat de travail est fixé par l’article 32.3° de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail. Comme l’indique un auteur de doctrine : « dans l’état actuel du droit positif, le licenciement reste fondamentalement une prérogative discrétionnaire. Les parties demeurent libres de révoquer unilatéralement et impunément leur engagement en raison des intérêts, privés ou généraux, égoïstes ou altruistes, qu’il leur plait de privilégier. »[1].
Cette liberté est cependant modalisée par la loi sur les contrats de travail. Ainsi dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, chacune des parties peut mettre fin moyennant le respect d’un délai durant lequel le travail se poursuit. On parle de délai de préavis (Article 37 de la loi).
L'article 39 prévoit néanmoins que si une partie rompt le contrat de travail avec effet immédiat (c'est-à-dire sans respecter le délai), celle ci est redevable d’une indemnité égale à la rémunération en cours correspondant à la durée du délai de préavis. On parle d’indemnité compensatoire de préavis.
En vertu de l’article 59 de la loi sur les contrats de travail et de l’article 2 de la C.C.T. du 20 décembre 1999 rendue obligatoire par arrêté royal, la durée du délai de préavis de l’ouvrier diffère en fonction de son ancienneté. On peut dresser le tableau suivant :
Ancienneté | Durée du délai de préavis |
A partir de 6 mois et moins de 5 ans | 35 jours |
A partir de 5 ans et moins de 10 ans | 42 jours |
A partir de 10 ans et moins de 15 ans | 84 jours |
A partir de 15 ans et moins de 20 ans | 84 jours |
A partir de 20 ans | 112 jours |
On notera que ces délais de préavis sont exprimés en jours calendrier et non pas en jours ouvrables. Il commence prend cours le lundi qui suit la semaine au cours de laquelle le préavis est notifié.
En outre, conformément à l’article 38 de la loi sur les contrats de travail, le délai de préavis ne court pas pendant la suspension du contrat.
En conséquence, à l’expiration du délai de préavis notifié, l’employeur devra vérifier durant combien de jours le délai de préavis a été suspendu et demander au travailleur de fournir des prestations de travail à concurrence du nombre de jours de suspension qui viennent prolonger le délai de préavis.
Si l’employeur met tout de même fin au contrat de travail à l’expiration de la durée du délais de préavis notifié, il devra verser au travailleur une indemnité de préavis complémentaire correspondant à la rémunération couvrant la durée complémentaire du délais de préavis pour cause de suspension.
On notera enfin qu’il existe une série d’exception à ce système de calcul. En effet, la loi permet au Roi de modifier le délai de préavis dans l’intérêt de certaines catégories particulières de travailleurs. Ainsi des délais de préavis particuliers ont été fixés dans certains secteurs. Tout employeur qui envisage le licenciement d’un ouvrier, vérifiera avant tout si aucun délai de préavis n’a été fixé dans le secteur d’activité de l’entreprise.
2) Les ouvriers engagés après le 01.01.2012
La nouvelle réglementation prévoit une prolongation des délais de préavis pour ouvriers par application d’un « coefficient de convergence » de 1,15.
Ancienneté | Délais de préavis |
< 6 mois | 28 jours |
6 mois - 5 ans | 40 jours |
5 ans - 10 ans | 48 jours |
10 ans - 15 ans | 64 jours |
15 ans - 20 ans | 97 jours |
> 20 ans | 129 jours |
- la durée du délai de préavis
- la base de calcul de l'indemnité de préavis
Ainsi, en ce qui concerne les travailleurs engagé avant le 1er janvier 2012, la rémunération en cours est la rémunération à laquelle le travailleur a droit au moment de la rupture du contrat de travail. Elle comprend la rémunération fixe et la rémunération variable.
1) La rémunération en cours
Salaire horaire brut x durée du temps de travail x délai de préavis en semaines =…
La jurisprudence majoritaire estime dans le cas d’une exécution à temps partiel d’un contrat de travail à temps plein l’indemnité de préavis doit être calculée sur la base de la rémunération à temps plein lorsque le régime à temps partiel qui a été décidé de commun accord n’est que de nature temporaire. Dans ce cas, aucun nouveau contrat de travail n’a en effet été conclu et le contrat de travail à temps plein n’a été que partiellement suspendu.
Il s’agit dès lors de déterminer sur base du contrat en l’espèce l’ensemble de ces éléments.
Exemples:
- remboursement frais
- pécule de vacances
- heures supplémentaires
- primes de fin d'année
- eco-chèques
- etc.
II. LE LICENCIEMENT ABUSIF DE L'OUVRIER : ARTICLE 63
L’employeur n’est en principe pas tenu de motiver le licenciement mais peut être prié a posteriori de prouver le motif de licenciement.
En effet, en cas de contestation, il suffit à l’ouvrier d’affirmer que le licenciement est abusif. L’employeur devra alors apporter la preuve des motifs invoqués, plus précisément du fait que ces motifs ont un lien avec l’aptitude ou la conduite de l’ouvrier ou sont fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service (Article 63 de la loi sur les contrats de travail). En d’autres termes, il lui appartient de prouver que le licenciement n’est pas abusif au sens de l’article 63.
Dans ce cadre, l’employeur dispose d’une vaste marge d’appréciation concernant les qualités professionnelles du travailleur et les besoins de l’entreprise.
La mission du juge se limite à vérifier l’existence d’un certain lien chronologique entre un comportement prouvé et le licenciement. Il ne lui appartient pas de vérifier la nécessité du licenciement compte tenu du motif invoqué. Le juge se limite à un contrôle marginal. En d’autres termes : le juge ne peut interpréter sur la base d’un critère de proportionnalité non repris dans la loi les hypothèses limitatives légales dans lesquelles le licenciement abusif est exclu.
S’agissant du motif issu de la notion de nécessite de l’entreprise, celui-ci doit exister au moment du congé. Les nécessités de fonctionnement de l’entreprise prévu à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 doivent s’apprécier à la date du licenciement. (C. Trav. Liège, 10 mai 1999, RG, n° 27. 114 / 98).
L’employeur n’est en principe pas tenu de motiver le licenciement mais peut être prié a posteriori de prouver le motif de licenciement.
En effet, en cas de contestation, il suffit à l’ouvrier d’affirmer que le licenciement est abusif. L’employeur devra alors apporter la preuve des motifs invoqués, plus précisément du fait que ces motifs ont un lien avec l’aptitude ou la conduite de l’ouvrier ou sont fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service (Article 63 de la loi sur les contrats de travail). En d’autres termes, il lui appartient de prouver que le licenciement n’est pas abusif au sens de l’article 63.
La mission du juge se limite à vérifier l’existence d’un certain lien chronologique entre un comportement prouvé et le licenciement. Il ne lui appartient pas de vérifier la nécessité du licenciement compte tenu du motif invoqué. Le juge se limite à un contrôle marginal. En d’autres termes : le juge ne peut interpréter sur la base d’un critère de proportionnalité non repris dans la loi les hypothèses limitatives légales dans lesquelles le licenciement abusif est exclu.
S’agissant du motif issu de la notion de nécessite de l’entreprise, celui-ci doit exister au moment du congé. Les nécessités de fonctionnement de l’entreprise prévu à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 doivent s’apprécier à la date du licenciement. (C. Trav. Liège, 10 mai 1999, RG, n° 27. 114 / 98)
Elle peut, en revanche, faire référence à une déception, à un constat de médiocrité habituelle ou occasionnelle ou de manque de motivation professionnelle – passivité blâmable. Le licenciement dont le motif avéré est la médiocrité habituelle voir occasionnelle, n’est pas abusif. (Trav. Courtrai, 10 janvier 2002, inéd. RG n° 58 082)
Le licenciement d’un ouvrier qui avait reçu plusieurs avertissements pour cause d’arrivées tardives fréquentes (Trav. Bruxelles, 21 janvier 2010, R.G. n° 68-105, inéd., strada).
Les absences répétées pour incapacité de travail peuvent entraver le fonctionnement normal de l’entreprise et partant constitué un motif valable de licenciement. (C. trav. Liège, 22 juin 1990, J.T.T., 1990, p. 460 ; C. trav. Bruxelles, 21 avril 1986, R.D.S., 1987, p. 97)
L’absentéisme excessif peut nuire à l’intérêt de l’entreprise ( C. trav. Liège, 13 mars 2003, inéd, RG 6877/2001, C. trav. Liège, 2 juin 1995, J.T.T., 1995, p. 351)
De même, le licenciement d’un travailleur régulièrement absent (avec justification) n’est pas arbitraire. Même si cette absence ne met pas en danger le fonctionnement de l’entreprise parce que le travailleur est remplacé par des travailleurs intérimaires, il ne s’agit pas d’une décision arbitraire (Cass. 18 février 2008, R.G., n° 2.07.0010.F, cité dans Clayes et Engels, Licenciement & démission, kluwer, waterloo, éd 2012, p. 571)
Dans certaines hypothèses, les absences répétées constituent, en elles-mêmes, une désorganisation des services de l’entreprise. Il en est ainsi dans les petites et moyennes entreprisses dans lesquelles le nombre de travailleur est réduit et où le travail de l’un dépend du travail de l’autre. Par ailleurs, dans ce type d’entreprises il est souvent difficile de procéder au remplacement du travailleur malade qui est le seul à connaître la technique de travail. (V. Vannes et L. Dear, La rupture abusive du contrat de travail théorie et applications, Bruylant, Bruxelles, 2011, p. 242)
En résumé : « L’absence du travailleur pour raisons médicales ne constitue pas, en tant que telle, un motif lié à l’aptitude. Par contre elle peut constituer un motif fondé sur les nécessités de l’entreprise. Celles-ci doivent cependant être établies ». (M. Jourdan, « L’abus du droit de rupture », guide social permanent, Partie I, Livre I, Titre V, Chapitre III, supplément du 31 janvier 2005, p. 447).
2) Le licenciement jugé abusif
L’employeur doit prouver qu’il a subi un préjudice particulier du fait de l’incapacité de travail de l’ouvrier. L’employeur doit donc apporter la preuve que les absences de l’ouvrier ont entravé le fonctionnement et l’organisation de son entreprise de sorte que le licenciement est motivé par une raison économique, outre les absences de l’ouvrier (Trav. Bruxelles, 14 février, 1991, R.S.R., 1991, 240)
Les absences limitées ne sont généralement pas de nature à entraver le bon fonctionnement de l’entreprise. Il faut qu’un effet néfaste sur le bon fonctionnement de l’entreprise soit établit par l’employer (C. Trav. Bruxelles, 21 novembre 2009, J.T.T., 2010, 73 ; C. Trav. Bruxelles, 2 novembre 2009, J.T.T. 2010).
L’indemnité pour licenciement abusif au sens de l’article 63 de la loi couvre à titre forfaitaire les préjudices matériels et moraux que l’ouvrier subit du fait de son licenciement pour un motif autre que son aptitude ou sa conduite ou encore les nécessité de l’entreprise.
L’article 63 al. 3 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail prévoit que :
« Sans prejudice de l'article 39, § 1er, l'employeur qui licencie abusivement un ouvrier engagé pour une durée indéterminée est tenu de payer à cet ouvrier une indemnité correspondant à la rémunération de six mois, sauf si une autre indemnisation est prévue par une convention collective de travail rendue obligatoire par le Roi. »
Il nous faut donc déterminer l’assiette exacte de cette indemnité fixé forfaitairement par le législateur.
Selon une première opinion suivie par la Cour du Travail de Liège : « A défaut d’autres précisions, il a lieu d’inclure dans la rémunération de base qui doit servir à l’évaluation de l’indemnité due pour licenciement abusif de l’ouvrier, l’ensemble des avantages acquis en vertu du contrat. Le pécule de vacances est certes versé à l’ouvrier par une caisse de vacances annuelles à laquelle est affilié l’employeur. Il n’en reste pas moins que ce pécule est constitué de cotisations que l’employeur verse individuellement pour chacun de ses travailleurs à la dite caisse, et entre dans la catégorie des avantage acquis en vertu du contrat » (C. Trav. Liège, 29 octobre 1999, chr. D. S., 2001, p. 473)
Selon une seconde opinion, le pécule de vacances des ouvriers en raison du fait qu’il n’est juridiquement pas à charge de l’employeur ne doit pas être inclus dans la base de calcul de l’indemnité de licenciement abusif. (P. Blondiau, La rupture du contrat de travail – Chronique de jurisprudence, Larcier, 1989, p. 36).
3) Les intérêts de retard
Il faut rajouter au montant obtenu les intérêts sur le montant à dater du congé.
III. LE LICENCIEMENT ABUSIF DE L'OUVRIER : THEORIE DE L'ABUS DE DROIT
Les motifs visés par l’article 63 entendent limiter le congé aux 3 causes évoquées par celui-ci. Les critères de la théorie de l’abus de droit au sens civil sont d’un autre ordre. Ils sanctionnent l’abus que fait le titulaire de son droit. Il « abuse » de son droit de licencier
Une première partie de la doctrine et de la jurisprudence considère, néanmoins, que l’article 63 englobe l’indemnité de licenciement abusif de la théorie de l’abus de droit.
La Cour du travail de Liège s’est rattachée à cette opinion a ainsi relevé que « L’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 a consacré dans un texte normatif l’institution jurisprudentielle de l’abus de droit appliquée au contrat de travail d’ouvrier ; ce faisant, il a facilité la tâche de la partie qui invoque l’abus de droit en la dispensant de prouver un dommage distinct de celui qui est causé par la perte de l’emploi, puisque l’article 63 prévoit une réparation forfaitaire, égale à 6 mois de rémunération, du dommage causé par l’usage abusif du droit de licencier. Cette réparation forfaitaire couvre l’entièreté du dommage que subit l’ouvrier en raison du caractère abusif de son licenciement et notamment le dommage moral » (Cour Trav. Liège, 15 novembre 2004, RG, n° 29.406/2000) (Voy également : Cour Trav. Liège, 9 janvier 2008, JLMB, 2008, p. 384 ; Cour Trav. Liège, 20 octobre 2004, RG 31.003/02)
Une seconde partie de la doctrine et de la jurisprudence considère que l’application de l’article 63 n’exclut pas l’application de la théorie civile de l’abus de droit. (Voir par ex. Cour Trav. Mons, 10 juillet 2003, Chr. D.S., 2004, p. 132)
Cette dernière serait en effet plus large que la notion d’abus au sens de l’article 63 permettant par conséquent un cumul.
En synthèse, le congé:
- peut être notifié en violation des motifs de congé visés par l'article 63 auquel cas l'ouvrier peut prétendre à l'indemnité de 6 mois visée par cet article
- peut être notifié dans le respect de l'un des motifs de congé visés par l'article 63 mais revêtir un caractère abusif parce que les critères de la théorie de l'abus de droit ont été violés. Dans ce cas, l'ouvrier ne pourra pas prétende à l'indemnité de l'article 63 mais il pourra réclamer des dommages et intérêts fixés par le droit commun
- peut être notifié au mépris des règles de l'article 63 et de celles du droit commun de la théorie de l'abus de droit. Dans ce cas, l'ouvrier pourra prétendre à l'indemnité visée par cet article et à des dommages et intérêts fixés par le droit commun
- l'atteinte à l'honorabilité de l'ouvrier
- la légèreté coupable
- la motivation inexacte du formulaire C4 (dommage causé au niveau des allocations octroyées par l'ONEm au travailleur licencié)
Afin de se prémunir, l’employeur doit dans la mise en œuvre de sa décision agir avec respect, modération et prudence.
En conclusion, bien que théoriquement possible, l’hypothèse de cumul est assez rare dans la pratique. En effet, l’ouvrier licencié invoquera le caractère abusif de son licenciement sur la seule base de l’article 63. Les Cours et Tribunaux restent, à l’heure actuelle, réservé quant à la possibilité de cumuler les indemnités.
Pour la SPRL TROXQUET-LAMBERT & PARTENAIRES,
Pierre LEGRAS,
Septembre 2012.