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Facture électronique pour vieille consommation



Dois-je payer ?

Pour de nombreux ménages belges, les dépenses liées à l’énergie prennent une place considérable dans le budget annuel. Gaz, eau, électricité, autant de factures que la plupart d’entre nous ne découvrent dans leur boite aux lettres qu’avec une certaine appréhension, et la pilule passe d’autant plus difficilement si l’enveloppe redoutée contient en fait une lourde régularisation.
 
Nombreuses peuvent être les raisons pour lesquelles le consommateur peut un jour découvrir, en lieu et place des factures… des lettres de rappel, des courriers d’huissiers, voire une citation en justice envoyée à la demande d’un fournisseur d’énergie qui constate que ses dernières factures n’ont pas été payées.
 
Que ce soit du fait d’un simple oubli, parce que la facture n’est jamais arrivée, parce qu’il n’est pas d’accord avec le décompte de consommation qui lui est présenté ou encore parce que son budget ne suit tout simplement plus, tout consommateur peut un jour être invité à payer d’anciennes, voire très anciennes factures d’un seul coup.
 
C’est donc avec un grand soulagement que certains ont vu fleurir sur les sites web d’associations de consommateurs une nouvelle souvent présentée en caractères gras : « Les factures d’énergie anciennes de plus d’un an ne peuvent plus être réclamées ». Suivent alors en général des articles plus ou moins détaillés expliquant que depuis peu, les factures d’énergies sont considérées comme prescrites après un an seulement, de sorte que les fournisseurs ne peuvent plus agir en justice pour obtenir un paiement passé ce délai.
 
Attention toutefois : Ces titres accrocheurs, qui font en réalité référence à un arrêt de la Cour de Cassation rendu le 8 janvier 2015[1], cachent une vérité bien plus nuancée que nous allons tâcher de comprendre.


L'arrêt du 08.01.2015 : l'avant et l'après


Avant cet arrêt de la Cour de Cassation du 8 janvier 2015, les factures d’énergies étaient soumises à une prescription de 5 ans, conformément à l’article 2277 du Code Civil qui concerne plus généralement les dettes périodiques, loyers, etc…
 
Cinq ans après leur date d’échéance, le paiement de ces factures ne pouvait plus être réclamé en justice. Pourtant, cinq ans, cela reste une très longue période lorsqu’on vous demande de prouver devant un juge le paiement d’une petite facture dont vous n’avez gardé aucune trace…
 
Dans le courant des années 2010, alors que le droit belge se trouvait en plein élan de protection du consommateur, un plaideur habile a saisi la balle au bond et a ainsi obtenu gain de cause devant les juridictions belges en soutenant que, certes, les factures d’énergies sont des dettes périodiques, mais également qu’elles portent sur la vente d’un bien de consommation (l’énergie) par un professionnel à des consommateurs !
 
Or, il se trouve que l’article 2272, alinéas 2 et 5 du Code civil dispose :

 « […]
[L’action] des marchands, pour les marchandises qu’ils vendent aux particuliers non marchands,

[…]
Se prescrit par un an. »

 
Ainsi, c’est en affirmant que cet article 2272 du Code Civil devait être applicable aux factures d’énergie que la Cour de Cassation a révolutionné la matière. Depuis son arrêt du 8 janvier 2015, les dettes d’énergies tombent sous le coup de la prescription d’un an, ce qui constitue une avancée majeure pour la protection des consommateurs.


Les factures d'énergies prescrites après un an ? Oui, mais ...


Toutefois, les choses ne s’arrêtent pas là et c’est sur ce point qu’il faut nuancer les propos de la plupart des sites internet qui célèbrent avec enthousiasme cette grande avancée jurisprudentielle.
 
L’article 2272 n’est pas systématiquement applicable aux consommateurs, et à défaut, c’est la prescription de 5 ans qui continuera à s’appliquer.
 
En effet, et même si cela n’est pas inscrit textuellement dans la loi, l’article 2272, al. 2 a été pensé comme un filet de sécurité pour les justiciables, dans des situations où on ne peut pas raisonnablement attendre d’eux qu’ils gardent longtemps une preuve d’une petite transaction et de son paiement.
 
Et c’est là la principale limite au nouveau principe de prescription des factures d’énergie : l’article 2272 et ses prescriptions d’un an sont fondés sur une présomption de paiement.
 
C’est parce que l’on va présumer que le consommateur a bel et bien payé ce qui lui est réclamé qu’on le dispensera de devoir prouver ce paiement.
 
Ainsi, le consommateur qui oppose à son fournisseur d’énergie une prescription d’un an de sa facture affirme concrètement que cette facture a déjà été payée et qu’il n’a plus besoin de le prouver.
 
Cette nouvelle information restreint considérablement le champ d’application de ce régime de prescription courte :

Le consommateur a reconnu sa dette ? La prescription d’un an ne s’applique pas.
Le consommateur a contesté le montant de la facture et reconnait donc ne pas l’avoir payé ? La prescription courte ne s’applique pas.
Le consommateur prétend ne pas avoir reçu de facture du tout ? La prescription courte ne s’applique pas.

 Certains se sont empressés d’écrire à leur fournisseur ou à des sociétés de recouvrement de créances qu’ils n’avaient plus besoin de les payer puisque plus d’un an s’était écoulé depuis la date d’échéance de la facture. Or, il s’agit là hélas d’une erreur puisque, en affirmant qu’ils n’ont plus besoin de payer, ces consommateurs reconnaissent ne pas avoir payé… et perdent donc le bénéfice de l’article 2272 et de la prescription d’un an.


Conclusion
 

Comme pourrait le scander n’importe quel fournisseur d’électricité, « un homme éclairé en vaut deux » et il importait donc de nuancer ce qui doit réellement être retenu de la récente jurisprudence de la Cour de Cassation.
 
Contrairement à ce qu’on a pu lire sur le web, ce serait un tort de s’engouffrer dans la brèche ouverte par la Cour le 8 janvier 2015, en affirmant que plus aucune de ces factures ne peut être réclamée passé un délai d’un an.
 
Dans tous les cas où une dette a été contestée ou reconnue, les fournisseurs auront, comme par le passé, un délai de cinq ans pour agir en justice et réclamer leur dû.
 
Il n’en demeure pas moins que cette récente évolution constitue une avancée considérable pour les consommateurs qui, dans beaucoup de cas, n’auront plus à craindre de devoir soudainement débourser jusqu’à cinq ans de factures d’énergie. 


 

Pour la SPRL TROXQUET-LAMBERT & PARTENAIRES
Joschka BREUER,
Septembre 2016.